Les « Paradise Papers » auxquels Le Monde et ses partenaires ont eu accès, comprennent — outre des informations sur des personnalités du monde de la politique, de la finance et de la culture — de nombreux éléments sur des particuliers et des entreprises utilisant des structures offshore de multiples manières. Si le terme « offshore » est souvent synonyme d’opacité et de fraude fiscale, les structures offshore ne le sont pas toujours. C’est même souvent tout le principe : jouer des failles réglementaires afin de pratiquer l’évasion fiscale légale. Mais dans d’autres cas il s’agit bien de fraude. Petit point pratique pour les particuliers sur ce qui est légal et ce qui ne l’est pas. Pour commencer, une société offshore est une société établie dans une juridiction qui offre des avantages fiscaux aux non-résidents en échange de frais annuels pour s’établir chez eux. En soi, ce n’est pas illégal, même si ces juridictions (surtout celles qui refusent l’échange d’informations avec les autres pays) sont sous le feu de nombreux pays et organisations luttant contre l’évasion fiscale. En France, l’esprit de la loi est simple : il faut déclarer ce que l’on possède. Il y a plusieurs niveaux de déclaration : concernant son patrimoine : dans le cas de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), vous devez déclarer les biens que vous possédez (pour calculer le montant redevable au titre de l’ISF). Une déclaration est aussi requise dans certains cas, par exemple si vous êtes un homme politique ; concernant les revenus issus de ce patrimoine ou de ces avoirs financiers ; concernant les sociétés. Cet impôt est dû directement par la personne morale, c’est-à-dire l’entreprise. Principale exception à la règle de la déclaration : les expatriés. Par exemple, un Français qui s’est établi en Suisse relève du fisc helvétique. Pour ne plus être domicilié fiscalement en France, il faut avoir son lieu de séjour principal (plus de six mois par an) dans un autre pays ou y exercer son activité professionnelle : la domiciliation fiscale est couverte par l’article 4b du code général des impôts. Prenons un exemple : vous héritez de vos parents ; d’abord, vous devez payer les droits de succession (c’est justement pour échapper à ceux-ci, ou faire en sorte que leurs enfants y échappent, que certains fraudeurs montent des structures offshore). Ensuite, il faut déclarer cette nouvelle extension de votre patrimoine aux services fiscaux si vous entrez dans la catégorie des contribuables imposables à l’ISF (il faut pour cela que votre patrimoine net taxable soit supérieur à 1,3 million d’euros). Si vous voulez placer tout ou partie de vos avoirs à l’étranger, sur un simple compte bancaire, la loi vous le permet. Mais vous devrez le déclarer : « En application de l’article 1649 A (2e alinéa) du code général des impôts, issu de la loi de finances pour 1990 (loi 89-935 du 29 décembre 1989), les particuliers, les associations et les sociétés n’ayant pas la forme commerciale sont tenus de déclarer, en même temps que leur déclaration de revenus ou de résultats, les références des comptes ouverts, utilisés ou clos à l’étranger au cours de l’année de déclaration. » Cette déclaration permettra au fisc de calculer le montant des taxes qu’il prélèvera sur ce patrimoine (si vous êtes assujettis à l’ISF) et ses éventuels revenus (si ce compte génère des intérêts). Par contre, si vous placez vos avoirs dans une société offshore, c’est cette société qui sera titulaire du compte bancaire. Or – et c’est qui fait tout l’attrait de l’offshore dans l’évasion ou la fraude fiscale – la loi oblige à déclarer un compte à l’étranger si le détenteur est une personne physique, pas si c’est une personne morale, c’est-à-dire une entreprise. Pour une personne physique, il est illégal de ne pas déclarer le compte lié à la société, puisque, rappelle Bercy, « les comptes détenus à l’étranger directement ou par l’intermédiaire de structures (dès lors que le contribuable dispose d’une procuration sur le compte) doivent être déclarés sur la déclaration de revenus ». En revanche, une entreprise n’a pas l’obligation de déclarer ses comptes à l’étranger. Ainsi, dans le cadre de l’évasion fiscale, c’est une entreprise sise aux Bahamas ou aux Seychelles qui sera titulaire de votre compte bancaire. En revanche, en tant que bénéficiaire réel de la société, vous pourrez utiliser le compte en banque sans que votre nom soit mentionné. En somme, la personne physique est cachée derrière la personne morale. C’est évidemment illégal, mais le fisc aura du mal à vous retrouver, surtout face à un Etat non coopératif. Un autre exemple, qui n’est évidemment pas à la portée de toutes les bourses : vous désirez acheter des tableaux de maître, ainsi qu’une jolie villa pour les exposer, mais vous souhaitez par-dessus tout que personne ne sache qui est le propriétaire des œuvres d’art ? Le trust offshore semble être une solution idéale. Sorte de contrat entre celui qui apporte des actifs et celui qui les gère — souvent un cabinet fiscal appelé « fiduciaire » —, le trust permet d’opacifier le lien entre les actifs et le propriétaire. Parce que, en réalité, le propriétaire « légal » des actifs, dans le trust, est celui qui les gère. Dans notre exemple, celui qui a apporté les tableaux et la villa dans le trust se sépare officiellement de ses biens, mais peut, si le trust est bien rédigé, en garder l’usufruit. Etant séparés du patrimoine logiquement déclaré, les actifs n’auraient pas à être déclarés au fisc, puisqu’ils appartiennent à quelqu’un d’autre ! Ainsi, le fisc ne peut-il plus réellement savoir à qui appartiennent les Picasso ou la maison : ils sont au fiduciaire. Mieux, il permet aussi de contourner certaines lois, notamment successorales. Enfin, le trust étant une structure d’opacité extrême, on comprend les possibilités offertes en matière d’évasion fiscale. En 2011, la France se rend compte des possibilités d’évitement de l’impôt offertes par ces structures de droit anglo-saxon. Une loi (l’article 792-0 bis du code des impôts) est adoptée pour obliger les administrateurs du trust à déclarer les actifs ou les bénéficiaires français, avec une grosse amende à la clé si le pot aux roses est découvert. Le trust est donc légal si les actifs sont déclarés. Evidemment, rien n’est facile pour le fisc, les administrateurs des trusts étant souvent non français, et donc pas vraiment soumis aux décrets des autorités françaises.